j’ai modelé des barques
je les ai photographiées
j’ai mis des mots dessus
des sentiments dessous

Barque n°0
Pièce en terre cuite de 90 cm de long. Patine indéterminée de couleur ocre rouge terre de Sienne, brou de noix ; c’est une barque avec 3 personnages, un homme et une femme se font face, entre eux une femme est couchée, elle est âgée.

Redondance 1
Barque en terre cuite qui transporte une autre barque plus petite (un canot de sauvetage ?). Une vieille femme y est couchée, un tissu lui cache le visage. Elle a mal dormi, elle fait des cauchemars.
La barque est coupée par quelque chose de rigide : une passerelle étroite venue de nulle part.
Une femme nue à l’avant coiffée d’un chapeau bizarre regarde au loin vers l’horizon d’un air absent, à l’arrière un homme nu cache sa bouche de la main droite, il soutient avec la tête quelque chose qui ressemble au gouvernail, il est peut-être malade (le mal de mère).

Redondance 2
La barque de l’agonie : c’est içi que tout commence ou finit. Au centre est l’annexe, cette petite barque est comme un lit d’hôpital qui recueille le corps nu d’une vieille femme, un voile cache son visage et son identité, ce pourrait être ma mère.
Un trait, en travers de la barque, venu du néant, se termine içi, parce que le moment du transfert, attendu, redouté, est arrivé.
A la proue et à la poupe ils ont compris : ils se détournent, sont horrifiés, alors apparaît toute l’inutilité de ce canot de survie.

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extrait barque n°0
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extrait barque n°0
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barque n°0
Barque n°1
Pièce en terre cuite de 85 cm de long. Patine indéterminée de couleur ocre rouge, terre de Sienne, brou de noix ; c’est une barque, une femme âgée y est couchée sur ce qui ressemble à un lit. Des coussins maintiennent la tête haute, un autre est sur le ventre qu’elle serre de la main droite. A ses pieds des liens rejoignent un panier dans le fond de la barque.

Redondance 1
Barque en terre cuite, une vieille femme est à moitié assise sur un lit, ce pourrait être ma mère, c’est une image qui me reste d’elle, une fin de vie survenue sur des coussins, le visage est émacié, les yeux sont creux. Tous les coussins sont recouverts d’une matière satinée et brillante comme des écailles, ces coussins la rassurent, pourtant elle est angoissée.

Redondance 2
Barque de la mère morte. Cette vieille femme c’est ma mère, couchée mais assise, la bouche est vide parce qu’elle a crié une dernière fois pour dire qu’elle ne veut pas partir, qu’elle ne veut pas nous laisser avec lui. Elle sait qu’il n’y a rien derrière.
Les coussins brillants sont tissés en peau de serpent, celui qui est à ses pieds comme le chien fidèle au pied des gisants.
Une nasse est ici, dans le fond qui l’alimente en mauvais rêves par une multitude de tuyaux grouillants.
Un jour elle s’est réveillée morte.
Une interférence
Quitte le rivage de ce monde pareil au serpent qui abandonne en muant sa vieille peau toute usée.
(sûtra du serpent, entendu sur France Culture ce samedi 2 août 2013).

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extrait barque n°1
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barque n°1
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extrait barque n°1
Barque n°2
Pièce en terre cuite de 85 cm de long. Patine indéterminée de couleur ocre rouge, terre de Sienne, brou de noix ; elle figure une barque avec un personnage couché, il est habillé comme un pape ou un empereur, dans le fond de la barque, à la poupe, des sacs.

Redondance 1
Il est attaché au bastingage il ne peut plus tomber.

Redondance 2
Barque du père mort, terre cuite de couleur pain brûlé, le gisant c’est mon père, il est coiffé d’une mitre en forme de pomme de pin et d’un grand manteau tressé comme le panier de la barque n°1, les lèvres sont fines et creuses. Il est inquiet parce qu’il sait, à son âge, que tout déplacement amène le pire ; à ses pieds un coussin allongé couvert d’écailles de serpent (on l’a déjà croisé). Ma mère reprochait à mon père, quand il était boulanger, de brûler son pain ; il le cramait. Mon père ne buvait pas, il avait d’autres soucis (il paraît que cela saute une génération). Dans le fond de la barque, une partie du fardeau qu’il a porté toute sa vie embarrasse encore.

Certains phrases n’ont pas besoin de syntaxe
terres                 cuites
il nous a fallu choisir entre enterrement et crémation
se terrer             se cramer
et d’autres ne méritent pas une lecture attentive
crémer est le terme exact (on est plus proche de la cuisine normande que de la chambre mortuaire).
incinéré est réservé aux ordures (ce n’est pas donné à tout le monde).</p

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extrait barque n°2
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extrait barque n°2
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barque n°2
Barque n°3
Pièce en terre cuite de 90 cm de long. Patine indéterminée de couleur ocre rouge, terre de Sienne, brou de noix ; cette barque transporte une femme nue couchée sur le côté qui regarde fixement une tête d’animal. Cette tête (cygne ou serpent) est fixée sur un joli présentoir.

Redondance 1
Barque en terre cuite, une femme fixe attentivement la tête d’un animal décapité, elle est coiffée d’un chapeau et la peau de ses fesses laisse deviner des traces d’écailles qui témoignent sûrement d’une nature aquatique : c’est une sirène ! Ce qu’elle regarde est un autre monstre marin, ce qu’il en reste (la tête et le cou) est calé sur un présentoir doré, deux petits coussins l’encadrent. L’intimité de la barque est cachée par une peau de serpent *.

Redondance 2
Barque de la petite mort, cette sirène est une victime au fond, c’est en chantant qu’elle exerce son activité maritime, son chant attire des mélomanes qui la suivent, ils en perdent la tête. Elle sait qu’il suffit d’attendre et que cela repousse.</p

*Encore cette vieille mue abandonnée qui a quitté le rivage de ce monde.

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extrait barque n°3
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extrait barque n°3
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barque n°3
Barque n°4
Pièce en terre cuite de 90 cm de long. Patine indéterminée de couleur ocre rouge, terre de Sienne, brou de noix ; deux femmes y dorment, une autre regarde au loin, l’horizon.

Redondance 1
Suite à l’avis de tempête qui a malmené les barques précédentes, voiçi venir le calme plat de l’oubli crépusculaire, dans la barque du sommeil deux femmes dorment, apaisées, une troisième veille.
Après thanatos et eros, morphée le beau jeune homme allié est passé et a distribué sa part d’inconscience et d’apaisement. Il sait que le sommeil sans rêve est le petit frère de la mort, sur la barque des lambeaux de mue serpentine rappellent cette évidence.

Redondance 2
Dans la barque de l’oubli, la troisième femme, celle qui veille conjugue par tous les temps les verbes mourir, aimer, oublier, alors, pour clore cette litanie, il suffit d’en finir avec les mots, rendre aux sculptures leur consistance d’objet et fermer ce cahier de navigation.

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extrait barque n°4
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barque n°4
Postface
J’ai fait des barques en terre cuite, des morts, un serpent, une sirène, des dormeuses s’y sont invitées.
Et aussi des mots : des passagers clandestins qui n’avaient pas leur place à bord, ils étaient redondants.
J’ai essayé de les foutre à l’eau, quelques uns se sont accrochés… j’ai lâché prise, ils sont restés.
Pleureuses : terre cuite patinée – h. 50cm
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pleureuse – 40 cm